Adieu au corps
Marie Charrier
Suite à un décès, il reste les souvenirs et les biens ; et pour un bref instant, le corps du défunt.
La mort altère la perception de l’être connu : au travers de la dépouille réside et disparaît celui que l’on connaissait. Convergent alors divers sentiments : rejet et dégoût, amour et bienveillance. Le corps qui s’étiole e(s)t le corps aimé et nettoyé, touché et caressé, effleuré et embrassé. Par divers moyens, on peut tenter de dissimuler, d’occulter ces changements. On peut décider, entre le décès, l’inhumation ou la crémation, de s’accommoder de cette présence, d’aménager la cohabitation avec le mort. Comment (re)nouer avec ce corps, être et objet ? En prendre soin, le regarder, le toucher, s’en approcher ?
De nature prospective, « L'Adieu au corps » est un service funéraire souhaitant, à la lumière de considérations symboliques et historiques, sociales et environnementales, mettre en question les pratiques contemporaines. Sous la forme de récits fictifs -« Lorsqu'il est décédé » et « Quand il est mort »- le service funéraire se dessine. Mêlant des données factuelles et l'expressions de sentiments personnels, Madame G et Monsieur H racontent la façon dont ils ont été accompagnés dans les jours suivants le décès de l'un de leur proche.
Le projet se structure autour de quatre axes :
Partager/Informer : Comment mettre en relation, en coopération, l'existence « abstraite » du défunt, les connaissances administratives et moyens techniques, matériels de ceux ayant « l'expérience et l'expertise de la mort » : les prestataires funéraires avec l'aptitude des proches à raconter l'histoire, l'unicité, la personnalité derrière chaque décès ?
Couvrir/Vêtir : Comment l'apparence, l'apprêtement du défunt peut signifier, marquer le changement entre l'individu qui était vivant et celui qui est désormais défunt ?
Refroidir/Préserver : Conscient de la finalité du corps, quelle « économie» peut-être trouvée dans les moyens mis en place pour la préservation des corps, lors de la période d'exposition du défunt aux proches ?
Transporter/Soutenir : Quel sens, mise en scène donner à l'objet dans lequel le corps, l'image du défunt disparaît ultimement -objet lui même destiné à disparaître par la terre ou le feu- ?
Parler de la mort touche à l’histoire, la sensibilité, l’émotivité, la croyance de chacun. C’est un sujet profondément intime et tout autant public, puisque commun et universel. Comment un designer, peut-il ou ne peut-il pas, parler à l’émotion, avec l’émotion, toucher, s’approprier des données sensibles et non-sensibles ? Des données abstraites, conceptuelles et même spirituelles (terme entendu dans son sens philosophique, c'est-à-dire comme la qualité de ce qui relie, met en perspective des formes, des êtres, des entités matérielles et immatérielles, incarnées et désincarnées) ? Le designer travaille avec des outils physiques et apporte une réponse concrète, fonctionnelle, ergonomique. Peut-il, a-t-il aussi un droit, une légitimité, à aborder, à proposer des solutions ayant une part d’irrationnel, comme l’a mort en a une ?